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Pour l'insecte

2019, pour l'exposition d'ouverture de l'atelier éphémère, Chelles (cf. Annaleme, dans Travaux)

Le vent se lève dans le ciel noir. Non, pas noir, jamais noir le ciel, bien plus bleu, sombre. Les hommes se taisent enfin. Et toi tu voles. Tout frais, tu ne te caches plus. Tu voles dans la nuit aux dix mille lunes. Ta tête qui tourne. Fièvre du soir. La lune pour toi, toute pour toi. Enfin tu crois, il y en a pleins d’autres. Tu ne les vois pas, mais ils sont là, suivent leur lune. Ils ont des ailes qui les entraînent loin de toi. Tu préfères le vent qui te fait tournoyer, t’emporte et te lâche. Ça commence comme ça, tous les soirs, puis tu te lances. Tu voles vers ce territoire que tu veux tout entier à toi. Celui que tu reconnaîtrais sans ouvrir les yeux. Tu es comme un poisson dans les abîmes d’un océan quelconque. Tu ne sens plus tes ailes. Elles abdiquent au vent, prisonnières volontaires. Quand ça se calme, tu recommences. Tu prends le large. Tu sens au loin une lumière, sans fin, elle est grande comme cinq soleils, tu crois, blanche comme une lune, irrésistible. Tu ne vois plus qu’elle. Tu voles, toujours plus loin, complètement folle. Tu avances, mais elle s’éloigne toujours un peu. Tu voles, tu la veux, tu la perds, tu ne sais plus. Tu recules croyant t’approcher. Tu ne la sens plus. Tu es désespérée. Tu crois la sentir encore, ailleurs. Tu y voles, alors. Elle est là, aussi, tu avances. Elle bouge, peut-être, tu la perds. La retrouves, plus loin. Tu tournes, tu tournes, le vent qui décide, t’épuise. Tu as mal, tu ne le sens pas. Tu la veux cette lumière, toi, voyeuse qui ne voit pas. Tu n’en peux plus, tu sais. Tu te fonds dans une lumière, une autre lumière, que tu n’as pas choisie. Tu ne sais plus où aller, pourtant tu voles, tu sais qu’elle est ailleurs. Tout tremble en toi. Tu ne sens plus rien. Tu fonds et tu ne le sais pas. Tu es perdue. Finie. Avalée. Dehors, la nuit est toujours là, tranquille, alors que les corps dorment.

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